Les chiffres sont impitoyables. Malgré des décennies d’initiatives en matière de développement durable, la destruction des habitats naturels s’accélère. L’objectif ambitieux de protéger 30 % des écosystèmes terrestres d’ici 2030 semble de plus en plus illusoire. Les cadres ESG traditionnels, malgré leurs nobles intentions, se révèlent structurellement insuffisants pour assurer une véritable préservation écologique.
C’est pourquoi nous avons développé APres — Adaptive Planetary Resilience Exchange System (le Système Adaptatif d’Échange pour la Résilience Planétaire) — un modèle économique qui abandonne la rhétorique du « moins de dommages » au profit d’une approche radicale : faire de la gouvernance écologique un prérequis au commerce lui-même.
APres est un cadre pour concevoir des modèles économiques qui opèrent dans les limites écologiques de la planète — et non au-delà.
Qu'est-ce que le modèle APres ?
Le modèle APres : une feuille de route pour un commerce responsable

Comment Wide Open World innove avec un cadre qui place la gouvernance écologique au cœur du commerce
La logique autochtone du commerce
Philosophiquement, APres s’inspire de la pensée indigène, qui considère l’activité économique sous l’angle de la responsabilité intergénérationnelle. Le modèle applique ce que l’on appelle le « test des sept générations » — évaluant chaque décision selon son impact sur les sept générations futures. Ce concept peut sembler presque désuet jusqu’au moment où l’on comprend la rigueur scientifique qui le sous-tend.
« La quête effrénée d’efficacité a créé un angle mort fondamental, » explique Olivier Maréchal, qui a développé APres en 2023 dans le cadre de sa recherche à la Warwick Business School. « Nous avons optimisé pour l’échelle et le rendement tout en traitant les limites écologiques comme des externalités. APres place ces limites au cœur de la viabilité économique. »
Ce cadre répond à une question longtemps reconnue mais jamais quantifiée systématiquement : la dépendance de l’économie au capital naturel. L’économiste écossais Adam Smith comprenait que la nature sous-tend la richesse ; Herman Daly, économiste écologique, a dénoncé l’échec de nos économies à reconnaître les limites écologiques. APres apporte le plan manquant — un moyen pour les marchés libres de fonctionner sans dépasser les limites planétaires.

Au‑delà du théâtre du carbone
La plupart des stratégies durables tombent dans des pièges prévisibles : elles privilégient l’efficacité à la stabilité écologique, visent à réduire les impacts tout en augmentant la production, et considèrent la neutralité carbone comme l’objectif ultime tout en ignorant les effets sur l’ensemble des écosystèmes. APres adopte une approche fondamentalement différente.
Plutôt que de poursuivre la neutralité carbone — notion que le modèle considère conceptuellement erronée étant donné que le carbone fossile ne peut être compensé de façon significative sauf par stockage permanent — APres propose une vision holistique des enjeux climatiques et de biodiversité. Il repose sur la préservation directe des habitats pour empêcher la croissance sans limites, tout en appliquant une taxe carbone interne pour accélérer l’investissement dans les solutions bas carbone. La logique est simple : pour chaque hectare utilisé en production, une zone scientifiquement déterminée doit être préservée dans la même région écologique, et les recettes de la taxe carbone maximisent les incitations à la transition bas carbone.
Ce n’est pas un verdissement superficiel. Les calculs suivent des directives scientifiques évaluées par des pairs, répartissant la responsabilité du maintien des limites planétaires entre l’État et les acteurs privés. Si les gouvernements atteignent les objectifs de couverture forestière potentielle (85 % pour les forêts boréales et tropicales, 50 % pour les tempérées) en les plaçant sous protection publique, les acteurs privés n’ont pas besoin de contribuer financièrement. Si ces objectifs ne sont pas atteints, les entreprises doivent financer directement la préservation. Une logique semblable s’applique à l’intégrité de la biosphère : pour chaque fraction de terre dédiée à l’activité économique, une portion définie scientifiquement doit être protégée — faute de quoi la nature risque de disparaître.
Comment nous appliquons APres chez Wide Open World
Wide Open World est le premier cas réel d’application d’APres. Chaque pull de nos collections finance environ la préservation de 200 m² de d’habitat naturel : 100 m² via conservation sur le domaine fermier et 100 m² via une protection permanente en partenariat avec l'ONG Tasmanian Land Conservancy.
Le modèle se distingue par sa rigueur comptable : les obligations de conservation apparaissent au passif de notre bilan comme des dettes, bénéficiant d’un contrôle aussi rigoureux que les obligations financières. Des partenaires scientifiques indépendants pilotent les efforts de conservation, garantissant que les décisions privilégient les besoins écologiques sur les intérêts commerciaux.
Notre approche démontre que les entreprises peuvent aller au‑delà de la réduction des dommages — nous pouvons protéger activement ce qui permet à la vie même d’exister.
Une nouvelle logique pour un commerce durable
APres introduit une évolution radicale de la pensée d’entreprise conventionnelle : une croissance contrainte. Quand un territoire est entièrement sous gestion écologique, toute expansion devient écologiquement irresponsable — et le score du modèle reflète cette réalité.
Ce mécanisme s’applique non seulement à l’usage des terres, mais également au débit des eaux douces et à la pollution chimique (plastique et fibres synthétiques compris). Plutôt que d’attribuer des quotas précis — souvent impraticables et biaisés — APres favorise les discussions régionales parmi les acteurs économiques dès que les limites écologiques approchent des seuils critiques. C’est une gouvernance polycentrique par conception : les décisions économiques doivent prendre en compte les impacts cumulés régionaux.
Les implications financières varient selon les secteurs et l’intensité d’utilisation des terres, mais le modèle ne favorise pas les approches intensives au détriment des acteurs plus petits et différenciés. Avec APres, les entreprises qui génèrent davantage de valeur avec une empreinte plus réduite conservent un avantage, tandis que les petites structures conservent leur singularité. Ce n’est pas l'un ou l'autre : les obligations de gouvernance sont calculées de manière juste et proportionnelle.
Au-delà de la durabilité traditionnelle
Ce qui distingue APres des cadres de durabilité existants, c’est son rejet des améliorations marginales au profit de limites absolues. Les métriques ESG traditionnelles permettent aux entreprises d’améliorer leur efficacité tout en augmentant la consommation de ressources — illustrant le paradoxe de Jevons selon lequel les gains d’efficacité accroissent souvent la consommation totale.
APres évite ce piège grâce à son « Value‑Harm Nexus », qui rend l’impact écologique explicite dans chaque décision d’entreprise. Les entreprises doivent évaluer leurs matériaux, méthodes de production et empreintes écologiques selon des principes précis : préservation de l’usage des terres, limitation de la pollution chimique, intégrité des écosystèmes, rejet de l’intensification, et proposition de valeur éthique.
Le modèle institue des « Fonds de Gouvernance » garantissant que les entreprises contribuent directement à la conservation, tout en dirigeant les investissements issus de la taxe carbone vers l’adoption à grande échelle de technologies bas carbone. C’est un cadre qui considère la durabilité non comme une stratégie compétitive, mais comme une condition sine qua non pour fonctionner de manière responsable.
Le système d'évaluation APres
APres redéfinit la durabilité à travers trois scores interconnectés :
- Biosphère : la conservation des terres est une priorité de premier order, assurant que l’activité économique ne dépasse pas la capacité de régénération de la nature. Les nouvelles entités (pollution chimique, y compris celle provenant de matières synthétiques) et la qualité de l'eau douce sont également évaluées par rapport à des limites définies.
- Atmosphère : un mécanisme de taxe carbone visant à réduire les émissions et à mobiliser les flux d’investissement pour accélérer la transition vers une économie bas carbone. Un rejet de l’idée que le carbone fossile puisse être compensé par des plantations, une idée qui alimente malheureusement une désinformation publique sans précédent. L’ozone et les aérosols sont également évalués par rapport à des limites définies.
- Hydrosphère : surveillance et évaluation directes du débit des cours d’eau, introduisant une responsabilité régionale partagée pour gérer cette ressource précieuse.
Pourquoi nous partageons ce modèle
On nous demande souvent si APres peut être utilisé au‑delà du secteur de la mode et appliqué aux opérations industrielles à grande échelle. Cette question ne comprend pas le principe même du modèle. Il ne s’agit pas d’expansion — mais de préservation.
« Se concentrer sur les métriques d’efficacité produit favorise l’intensification tout en ne protégeant rien de ce qui doit l’être », observe Maréchal. « APres est le premier modèle à internaliser les externalités négatives pour financer directement la préservation. Nous passons d’une croissance non contrainte à une croissance qui prend en compte les besoins spécifiques des écosystèmes. Autrement dit, nous ne ralentissons pas l’échelle du dommage — nous amplifions l’échelle de la gouvernance écologique. »
L’idée fondamentale est que, avant même de traiter le dépassement écologique global, nous devons arrêter de le dépasser. Protéger ce qui doit rester crée une tension productive entre impératifs de croissance économique et préservation écologique — tension que les marchés actuels évitent systématiquement.
« Imaginez la planète Terre. Si, du jour au lendemain, nous réduisions son diamètre de moitié, cela poserait bien plus qu’un simple problème pour la croissance économique. Maintenant imaginez que nous doublions son diamètre. Il y aurait peut‑être de la place pour grandir. Une civilisation avisée voudrait croître, certes, mais sans être aveugle à ses obligations de gouvernance environnementale intergénérationelle. Aujourd’hui, le narratif dominant est celui de la croissance. Les limites restent taboues. Il est temps d’évoluer », renchérit Maréchal.


Un cadre pour l’avenir
APres ne se limite pas à la mode ni aux secteurs agricoles, forestiers et d’utilisation des terres où il s’applique naturellement. Le modèle constitue une feuille de route pour toute entreprise dont les activités croisent des limites écologiques — ce qui inclut, finalement, la quasi-totalité du commerce.
Nous avons rendu le cadre APres accessible via le cabinet de conseil Natropy, rejetant l’idée que la durabilité devrait offrir un avantage concurrentiel. La logique est simple : si le modèle fonctionne, le garder secret sape son objectif fondamental.
À mesure que les indicateurs écologiques mondiaux poursuivent leur trajectoire alarmante, APres offre une alternative concrète au statu quo. C’est un cadre qui considère le monde naturel non pas comme un intrant à optimiser, mais comme un partenaire dont les intérêts doivent être explicitement protégés.
Chez Wide Open World, nous le voyons comme l’avenir du commerce responsable. La véritable question n’est pas de savoir si nous pouvons nous permettre la contrainte écologique — c’est de savoir si une économie peut survivre sans elle.
Lorsque vous achetez un produit Wide Open World, vous ne faites pas qu’acquérir des mailles magnifiques — vous adoptez des principes de gouvernance écologique, vous financez 200 m² de terres sauvages là où les fibres proviennent, et vous contribuez à redéfinir le commerce, pour un avenir durable. Merci.